La dinde de Noël - René Montaner
jeudi 9 décembre 2010 à 14h30
La dinde de Noël
--------*--------
La fête de Noël approchait à grands pas.
Dans chaque maison, l’heure était enfin arrivée de faire les derniers achats qui serviraient à la préparation du traditionnel repas de Noël.
Comme chaque année, ma mère se rendit au Marché « Honscott » situé à proximité de la place de la Perle, afin d’y acheter des légumes, des fruits, des œufs et de la charcuterie fine, mais aussi et surtout, pour prendre livraison d’une dinde vivante, qu’elle avait pris la précaution de commander, plusieurs semaines à l’avance, à son marchand de volailles habituel.
Comme le poids et le volume de tous ces achats lui paraissaient trop important pour elle toute seule, elle me demanda de l’accompagner, dans l’unique but de prendre en charge, l’encombrant gallinacé.
A priori, cette mission ne me plaisait guère car, du haut de mes 10 ans et encore en culotte courte, je craignais, mais sans trop l’avouer, que cette volaille, dans un mouvement de panique ou de défense, tente de se dégager de ma prise et se mette à me piquer les jambes avec son bec acéré ou me blesse des griffes et ergots de ses pattes.
Finalement, je réussis à bien m’acquitter de cette tâche en la transportant, tête en bas… les deux pattes bien ficelées.
Arrivé sur la terrasse de l’immeuble où nous habitions et qui se situait au n°1 de la rampe de Madrid, nous prîmes nos dispositions pour l’attacher solidement à une rampe en fer qui servait de garde fou à un petit muret de protection d’où nous dominions toute la place Kléber.
Tous Les habitants du quartier de la Marine connaissaient bien cette petite place circulaire avec ses trois palmiers dattiers qui s’élevaient presque aussi haut que les toits et terrasses des immeubles qui l’entouraient.
Après deux jours d’une longue attente, l’heure du « sacrifice » arriva. Ma mère, qui d’ordinaire supportait très mal de voir souffrir les animaux, pris ses dispositions pour que l’opération soit la plus brève possible. Pour ce faire, un grand récipient d’eau chaude bouillait déjà sur le feu et, la lame du plus grand couteau de cuisine que nous possédions, avait été affûtée comme le fil d’un rasoir.
A l’heure « H », le couteau de ma mère tomba sur le cou de cette dinde, tandis que, de mon coté, j’essayais de la maintenir immobile, le plus fortement possible..
Le sang jaillit avec une telle force que j’en fus complètement aveuglé et renversé ! A peine le temps de voir que la tête avait bien été tranchée que, déployant alors violemment ses ailes, la volaille m’échappa et se mit à courir dans tous les sens, éclaboussant de son sang tout sur son passage avant que, dans un dernier effort, elle ne réussisse à prendre son envol !
Incroyable…la dinde qui avait « perdu la tête ! » se mit à voler jusqu’à l’un des palmiers de la place où elle se posa, juste au-dessus d’un régime de dattes.
La scène, bien entendu ne passa pas inaperçue car il n’était pas loin de Midi et il y avait, à cette heure là, beaucoup de monde sur la place et tout autour de celle-ci.
De notre côté, nous étions complètement affolés, ne sachant plus que faire et où donner de la tête !
Ma mère,du haut de la terrasse,faisait de grands gestes et poussait de grands cris…dans l’espoir que la dinde l’entendrait .Mais comment imaginer que la pauvre bête pourrait nous voir ou nous entendre, alors que sa tête était restée sur la planche à découper !
Les chauffeurs de taxis qui stationnaient tout autour de la place se mirent à faire usage de leur klaxon, pensant eux aussi,que le volatile finirait bien par avoir peur…et ainsi, retomberait sur la terre ferme.