Voici un texte envoyé par René Montaner, initialement dans le livre d'or du site mais qui pour des raisons de longueur et d'esthetique a été placé dans les "News" afin de le mettre en avant ! Merci à René !
Le Passage Boutin, dans les années 50
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Tout en haut des rues de l’Arsenal et Matelot Landini, le passage Boutin était un petit tunnel d’une cinquantaine de mètres qui passait sous l’église St Louis et qui permettait de relier le quartier de la Marine à celui de la Place de la Perle.
Comme j’habitais au n°4 de la rue de l’Arsenal, c’est-à-dire pratiquement en face de sa sortie, je voyais quasiment tous les jours, les allées et venues de ménagères qui se rendaient au Marché Honscott pour y faire leurs courses .Souvent elles en profitaient pour acheter, quelques bons melons et pastèques, à des marchands qui, sous des chapiteaux de fortune, s’installaient le long des trottoirs qui bordaient la petite place,dominée par la belle architecture du minaret Sidi-el-Haouri.
Ce passage qui, compte tenu de sa faible longueur, n’était éclairé que par la lumière du jour, était aussi, pour de nombreux enfants, l’endroit idéal pour organiser des courses à pied où ils mesuraient leur pointe de vitesse.
On y jouait aussi à celui qui pousserait le cri le plus fort car, son acoustique était excellente et nos éclats de voix résonnaient bien au-delà de ses entrées…
Parmi tous les souvenirs que je garde de ce lieu, il en est un qui est resté un peu plus présent dans ma mémoire que les autres car il se rattache à mon père.
Je le revois encore apportant tous les vendredis matin,un café bien chaud,à un mendiant musulman handicapé qui était installé sur le trottoir, juste à la sortie du pont,coté rue matelot Landini.
Il était assis sur un petit tapis, où l’on pouvait lui faire l’aumône, et il passait sa journée à réciter des sourates et à égrener les boules de son chapelet.
Je ne me souviens pas de l’avoir vu se prosterner pour faire la prière car, il me paraissait assez vieux et, sans doute que son corps ne lui permettait plus de faire de tels exercices.
A l’époque, j’ignorais que, parmi les cinq grands commandements ou principes de l’Islam sunnite, l’aumône faite aux pauvres était une action de grâce importante.
Je ne crois pas non plus que mon père voulait donner à son geste un sens religieux car, a ma connaissance, il était, comme on dirait aujourd’hui, plutôt agnostique.
Je pense, avec le recul, que ce que certains pouvaient interpréter comme de la charité chrétienne n’était en fait, qu’un simple geste d’humanité et de bonté.
Il discutait longuement avec lui, comme avec un bon voisin, et je le voyais revenir à la maison, avec la tasse vide, mais un sourire, plein les yeux.
Ce petit tunnel Boutin, me paraissait être comme une authentique passerelle !...jetée entre les humains de toutes conditions et de toutes confessions.
De ce point de vue le quartier de la place de la Perle, dont on prétendait qu’elle était la plus ancienne place de la ville, était sans nul doute, celui où chrétiens et musulmans vivaient, cote à cote, en bonne intelligence.
Combien d’entre nous se souviennent-ils encore de ce vieux mendiant du passage Boutin ?
Comme,avec le temps, je ne peux pas faire une confiance « aveugle » à ma mémoire,le témoignage de certains habitants des rues de l’Arsenal et Matelot Landini, pourrait ,je l’espère, compléter cette lointaine évocation.
En tout cas, ce serait pour moi, la meilleure façon de sortir du tunnel… de ce souvenir d’enfant !
René Montaner